Le débat entre les supporters et les détracteurs de la sous-traitance ne fait que s’amplifier alors que de plus en plus de sociétés externalisent des tâches de production ou des processus. D’un coté il y a ceux qui accueillent chaleureusement l’externalisation comme un outil économique de soutien pour les pays en développement où des emplois sont créés. Du coté opposé, il y a ceux qui pensent que la sous-traitance nuit aux économies nationales en supprimant des emplois. Quoi qu’il en soit, l’externalisation est devenue une option stratégique incontournable pour gagner un avantage compétitif. Cependant certaines sociétés se précipitent vers cette solution sans prendre le temps d’analyser si les conditions sont réunies pour réussir une initiative de sous-traitance. Il faut en effet garder à l’esprit que l’externalisation n’est pas une potion magique au succès garanti. Tous les projets d’externalisation ne sont pas des succès. Les sociétés qui ne prennent pas le temps de comprendre la culture du pays où elles comptent s’implanter, de sélectionner soigneusement leur partenaire et de faire des analyses poussées avant de sous-traiter certaines tâches peuvent compromettre leurs parts de marché en prenant de mauvaises décisions. Nous allons revoir ici un exemple de projet d’externalisation qui a échoué. La compagnie en question est un géant français de la fabrication d’équipements de télécommunications que nous appellerons ABC et le sous-traitant est HFS, une société basée en Inde.

En 2005, ABC est dans une situation où demeurer compétitif devient de plus en plus difficile, spécialement avec l’arrivée sur le marché de nouveaux compétiteurs asiatiques qui, du fait de leur accès direct à une main d’œuvre à bas coût et le soutien financier de leur gouvernement, sont capables de considérablement baisser leurs coûts de production et leurs prix. Pour rester compétitif, l’externalisation devient donc une réalité stratégique pour ABC. De plus, la compagnie veut pénétrer les marchés émergents asiatiques et sous-traiter dans ces pays pourrait être un premier pas dans cette direction.

La situation

Environ 18 mois plus tôt, un grand constructeur d’ordinateurs et éditeur de logiciels américain avait signé un accord avec ABC lui accordant 55% de réduction sur le lease de leurs ordinateurs si ABC testait leur nouvelle génération de pcs, leur objectif final étant d’utiliser ces nouvelles technologies pour leur prochaine génération de produits. Pour ABC, cette réduction de 55% sur leur location d’ordinateurs représentait une économie de plusieurs dizaines de millions d’euros par an pour quelques années. Notons au passage que le testing des nouveaux ordinateurs n’était qu’une des conditions à remplir par ABC pour obtenir la réduction de 55%. ABC a alors décidé de sous-traiter cette particulière mission en Inde. La société choisie fut HFS, qui n’était pas une grande compagnie, et la contrat entre ABC et HFS était relativement petit : $300.000. La mission était de se servir d’Oracle pour utiliser et gérer les nouveaux ordinateurs. En résumé, il s’agissait de vérifier la compatibilité entre les logiciels et le matériel.

Bien que la tâche ne semble pas complexe, le projet de sous-traitance a échoué. Avant d’étudier les causes de cet échec, revoyons les raisons pour lesquelles ABC a décidé de sous-traiter cette spécifique mission.

Raisons de sous-traiter

  • Raisons politiques : Au moment de cet accord, l’Inde était le marché des télécommunications à la croissance la plus rapide au monde. En sous-traitant en Inde, ABC espérait donc augmenter sa présence dans le pays tout en augmentant sa connaissance du marché et de la population indienne. De plus la décision était économiquement favorable puisque l’Inde bénéficie d’une main d’œuvre éduquée à bas prix.
  • Tâche ne faisant pas partie de son coeur de compétence : il y a trois critères qui définissent une tâche essentielle. 1- elle apporte des bénéfices à l’utilisateur 2- elle est difficile à reproduire par la compétition et 3- elle peut être utilisée pour de nombreux produits et marchés (critères établis par Hamel et Prahalad). Selon ces critères, les tâches non essentielles au cœur de métier d’ABC devraient être externalisées.
  • Avantage compétitif : non seulement la différence de coût entre la France et l’Inde pour mener à bien ce projet était notable, mais l’ajout d’activités en France aurait ralenti les autres activités d’ABC sans mentionner les pénalités dues au client en cas de retard.

  • Ressources internes déjà surchargées de travail

  • Coût de transaction inférieur en sous-traitant : la transaction entre ABC et HFS avait un faible niveau de spécificité puisque les ordinateurs pouvaient être utilisés pour d’autres tâches. Le niveau de complexité et d’incertitude de la tâche était bas puisque qu’HFS avait de l’expérience pour tester la compatibilité entre des logiciels de base et du matériel. Enfin la fréquence de la transaction était basse puisqu’il s’agissait d’une mission unique, finie quand le testing était achevé. D’après la théorie des coûts de transaction (lien vers l’article) toutes les caractéristiques de cette tâche indiquent qu’elle devrait être externalisée.

Cependant, même si la décision de sous-traiter semble justifiée, ce cas prouve que si la société ne procède pas aux analyses nécessaires et ne sélectionne pas un bon partenaire, les conséquences peuvent être désastreuses.

Nous verrons dans une deuxième partie comment les risques et problèmes liés à l’externalisation ont fait échouer ce projet.