On me demande souvent si nous devrions être inquiets de l’augmentation des investissements chinois en Europe et spécifiquement en France. En effet le contraste entre l’attitude protectrice et méfiante des USA et le tapis rouge que l’Europe déroule devant la Chine est frappant. La première explication qui vient à l’esprit est naturellement que les dirigeants européens, engloutis dans la crise économique qui secoue la zone euro, sont ravis de voir une grande puissance racheter leur dette, tandis que les américains, sont inquiets de voir la deuxième puissance mondiale posséder trop de la leur.

L’analyse de The Economist du tour européen du premier ministre chinois Wen Jiabao cet été montre pourtant que la position de faiblesse de l’Europe n’est pas la seule explication de l’ouverture de l’Europe à la Chine. Il est vrai que l’on voit nombre sociétés européennes à court de liquidité courtiser les sociétés chinoises. Mais même parmi les pays forts de l’Europe, la tendance politique est de promouvoir les investissements chinois et non pas de les décourager. Certes, cela demande des ajustements d’accueillir un nouveau partenaire, mais il y a de grandes opportunités à s’allier à la future plus grande économie du monde, ne serait-ce que pour en gagner la clé.

Cette différence d’attitude entre l’Europe et les Etats-Unis aura de lourdes conséquences sur l’évolution des trois grandes puissances économiques : la Chine, les USA et l’Europe. En effet, historiquement la Chine a commencé par investir pour sécuriser les ressources d’énergie et de matières premières dont son expansion industrielle a désespérément besoin. L’argent chinois s’est donc investi en Asie, en Afrique et en Amérique Latine.

Mais la deuxième phase de l’émergence de la Chine est en marche et l’Europe s’est positionnée pour en être au centre. En effet après avoir sécurisé ses ressources, pour continuer à gravir l’échelle du développement la Chine doit acquérir de nouveaux avantages compétitifs pour faire face à la concurrence sur son marché domestique. Pensez marques occidentales et expertise en marketing. De plus, les sociétés chinoises qui sont orientées vers l’exportation veulent aussi se rapprocher de leurs consommateurs.

L’Amérique serait le premier endroit vers lequel se tourner mais les relations économiques entre la superpuissance et le challenger chinois sont loin d’être faciles et la méfiance des USA envers la Chine a convaincu de nombreuses grosses sociétés chinoises que les américains étaient hostiles à leurs investissements.

Bien sûr cette perception n’est pas complètement fondée : l’économie américaine est méfiante envers tous les investissements étrangers. Quoi qu’il en soit, selon un rapport de la Asia Society de Washington D.C., cette attitude pourrait mener l’Amérique à passer à côté de 1 trilliard de dollars d’investissement chinois directs d’ici 2010.

Et ce cash se dirige à la place vers l’Europe. Les banques d’investissements appellent la Chine dès qu’ils entendent parler d’une possible acquisition. Les banques chinoises s’installent en Europe. Les chinois achètent des appartements à Londres. Les investissements directs chinois à l’étranger augmentent plus vite en Europe que partout ailleurs.

Et les européens y gagnent davantage que de l’argent. Avoir un partenaire chinois est un bon moyen pour une marque européenne de gagner accès à la prochaine « plus grande économie du monde ». Pensez au Club Med qui a un gros actionnariat chinois et qui vient d’ouvrir son premier club en Chine. Ou à Volvo, qui a été acheté par Geely, un fabriquant de voitures chinois en 2010 et qui appelle maintenant la Chine son « second marché domestique ».

Bien sur les citoyens européens s’inquiètent de cette tendance. Les sondages montrent trois sources d’inquiétudes. D’abord que la Chine va s’approprier les technologies et les emplois européens. Il est vrai que les chinois cherchent souvent à ramener cette connaissance dans leur pays, mais ils veulent aussi conquérir les marchés européens et pour ce faire, ils doivent y créer des emplois. Ensuite, les européens s’inquiètent que les chinois achètent les fleurons européens à bon marché. En fait il n’y a aucune évidence que ce soit le cas. Au contraire : tous les pays et sociétés avec beaucoup de cash on tendance à acheter trop cher. Et le dernier souci est que les investissements chinois en technologie soit une menace pour la sécurité de l’Europe, mais là aussi il existe des processus pour vérifier les investissements étrangers dans des secteurs sensibles.

Donc, comme toute nouveauté, le changement de l’équilibre des pouvoirs entre les trois grandes puissances fait peur et comporte des risques. Mais les opportunités dépassent les risques et en accueillant la Chine, l’Europe va dans le courant de l’histoire alors que les Etats-Unis essayent de lui résister.

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